Les Ogres de Barback Les Ogres de Barback - Grand-père

Ainsi mon grand-père, c't'enfoiré, n'aurait pas connu la guerre.
Que de mensonges en soirées de Noël ou d'anniversaire
Où mes oreilles épatées écoutaient ce que naguère
Ce petit père, héros né, avait connu de misères
Dans ce camion pris d'assaut, les griffures de son dos
N'étaient pas venues des bombes mais des ongles d'une blonde
Qu'était p't'être bien grand-maman ou la femme d'un adjudant
Et ne parlait pas l'allemand mais l'ukrainien, évidemment...

Il s'en est pas fait pour l'Alsace, et encore moins pour la Lorraine
En attendant que guerre se passe, il s'est dit : «Oh, là, quelle aubaine !
Il y a un camion de passe-passe, je vais m'en mettre plein la bedaine
Avec une femme qui a la classe...
On va s'éclater en Ukraine...»

Ainsi mon grand-père, ce menteur, m'avait mené en bateau
En me disant que la peur lui remontait dans le dos
Lorsque les balles sifflaient et que la mort arrivait
Et les grandes dents de Satan pour rappeler à chaque instant
Qu'il faut rester l'œil vif et l'ouïe bien concentrée
Avoir un avis sur tout pour ne pas finir dans un trou.
C'était plutôt dans son pif que la vodka v'nait s'concentrer
Dans ces plaines, pleinement saoul, il finissait pas dans l'même trou.


Il s'en est pas fait pour l'Alsace, et encore moins pour la Lorraine
En attendant que guerre se passe, il s'est dit : «Oh, là, quelle aubaine !
Il y a un camion de passe-passe, je vais m'en mettre plein la bedaine
Avec une femme qui a la classe...
On va s'éclater en Ukraine...»

Ainsi mon grand-père, ce minable, n'avait pas la main coupée
Par le geste admirable de secourir des blessés
Il avait juré sur Satan qu'il protégerait femmes et enfants
Que sa main aille au diable, que rien n'lui serait excusable
Qu'il défendrait la patrie au péril de sa vie
Qu'il ferait sa carrière chez ces braves militaires.
Parlons-en d'sa carrière,
Et d'sa solde de militaire :
Quarante francs soixante-dix, vingt vodkas, pinard, extasix...

Il s'en est pas fait pour l'Alsace, et encore moins pour la Lorraine
En attendant que guerre se passe, il s'est dit : «Oh, là, quelle aubaine !
Il y a un camion de passe-passe, je vais m'en mettre plein la bedaine
Avec une femme qui a la classe...
On va s'éclater en Ukraine...»

Ainsi mon grand-père, ce salaud... Bah ! c'était pas mon grand-père
Le vrai s'est fait trouer la peau dès les débuts de la guerre
Il était chef-adjudant, l'ex-mari de grand-maman
Et ne parlait pas l'allemand mais l'ukrainien évidemment !
Grand-mère, sur son lit d'enterrement, ne fit pas trop de prières,
Ou plutôt pria son argent et ses médailles légendaires
Prit son avenir à deux mains, et en bonne samaritaine
Ramassa le premier chien pour aller s'éclater en Ukraine.

Elle s'en est pas fait pour l'Alsace et encore moins pour la Lorraine,
En attendant que guerre se passe, elle s'est fait masser à la chaîne
Par un poivrot un peu crasse qui, comme elle, fuyait la peine
De soldats bien plus dégueulasses que deux déserteurs en Ukraine !